Camille a été recrutée au sein du SPS « Les Réglisses » suite à un appel à projet de l’ARS concernant la santé mentale des jeunes. Depuis 2020, les éducateurs n’avaient de cesse de pointer la fragilité psychologique des jeunes qu’ils accompagnaient, notamment depuis les différents confinements, sans pour autant obtenir d’espace de paroles pour ces jeunes dans les structures de droits communs, tant la demande générale sature le système. L’autre frein repéré par les équipes éducatives venait de l’image que renvoyait « le psy » pour tous les jeunes malgré leur mal-être.
Le service a donc proposé à l’ARS de faire intervenir une psychologue de rue, capable d’accompagner les éducateurs au sein des différents quartiers, d’aller à la rencontre des groupes de jeunes présents sur l’espace public et d’offrir un espace de parole individuel pour ceux qui le désirent, de proposer occasionnellement des ateliers de prévention et de mettre en place une permanence d’écoute hebdomadaire au sein d’un collège.
L’aventure a commencé en janvier 2023, avec un petit financement de l’ARS à titre expérimental, pour une présence minime de six jours par mois. En juin 2023, compte tenu de la pertinence du projet, l’ARS a quadruplé son financement pour que nous puissions poursuivre le projet sur une année supplémentaire, et la DSOL (Direction des solidarités) a accepté de compléter le financement pour que nous puissions obtenir un ETP complet pour la psychologue.
Camille, Psychologue au SPS Les Réglisses :
« Voici 8 mois que je travaille au SPS Les Réglisses.
Je suis d’abord intervenue sur un temps très partiel puis, depuis le mois de juin, à temps plein.
J’ai été surprise par la politesse et la gentillesse des jeunes que j’ai rencontrés. Je ne m’attendais pas à rencontrer des brutes mais je pensais que le premier contact serait plus jaugeant. A mon sens cet accueil, tient au lien existant entre Le Service, ses éducatrices-teurs et ces jeunes, leurs ainé(e)s parfois, leurs familles.
Ce n’est pas parce qu’ils m’ont cordialement accueillie qu’une confiance aveugle s’est installée. Encouragé(e)s par certains éducateurs-trices mais aussi parfois à leur demande spontanée, certaines et certains ont demandé à me rencontrer. Un accompagnement suivi a pu se mettre en place, plus ou moins long. Pour certaines nos rencontres sont un lieu où ce qu’elles ont à dire d’elles peut enfin être entendu et réfléchi mais surtout et d’abord partagé. Quand une partie de la vie est lourde à porter, il faut pouvoir être accompagné : « Ma sœur m’a dit de faire attention, de ne pas tout dire à la psy mais si je ne te le dis pas à toi, à qui je peux le dire ? C’est non, je sais qu’à toi je peux parler, que ça ne me met pas en danger ».
« Accepter de se mettre en question et de réfléchir sur soi nécessite une confiance qui n’est jamais évidente et met du temps à être acquise. »
Qu’elles/ils m’aient vue dans la rue, que nous nous y soyons rencontré(e)s, que nous ayons discuté ensemble ou qu’ils m’aient vu discuter avec d’autres, échanger avec des partenaires -être donc curieux d’eux, intéressée par leur vécu réel pas seulement relaté-, cela a, sans aucun doute, permis qu’une demande, chez eux/elles émerge. J’inverse parfois le sens et me permet de dire mon désir pour ouvrir peut-être une porte sur celui de l’Autre et susciter une esquisse de demande, d’autorisation à s’occuper de soi, de mise en oscillation, en danger donc. Accepter de se mettre en question et de réfléchir sur soi nécessite une confiance qui n’est jamais évidente et met du temps à être acquise.
J’ai rencontré aussi des enfants d’âge primaire accompagnés par leurs mères qui désespéraient de trouver une aide pour leur fils, leur fille, leur famille tant le secteur public est saturé par les demandes et démuni en ressources.
Certaines rencontres ont eu lieu à l’extérieur, dans la rue, à la terrasse d’un café, mais souvent l’intimité ou du moins le « contenant » d’un bureau a été préféré. C’est la personne que je rencontre qui choisit le lieu. J’essaie de prendre le temps même si parfois je sens comme une vraie urgence à avancer ou faire avancer le/la jeune dans le travail engagé.
Pour travailler les réflexions et apports sociologiques sur la société, les notions de marge et de norme me sont essentielles.
La plupart des jeunes se vivent comme « lâchés » par la Mère Patrie, l’institution, mis au ban ou en périphérie, n’appartenant pas à la société. Un jeune me disait « j’ai des élans de haine quand j’entends les journalistes parler de « racaille » … parce que c’est de nous qu’ils parlent alors que nous n’en sommes pas », signifiant ainsi de manière prégnante son vécu d’ostracisation, lui qui n’y peut rien du lieu physique et psychique où il est né. Cette scission, parce qu’elle est vécue comme imposée et injuste, fait naître et alimente une rancœur et une colère : c’est la violence de l’un (l’Etat) qui appelle à la violence des autres.
« Accepter de travailler en prévention auprès de ces jeunes et moins jeunes et familles, c’est accepter l’humain dans tout ce qu’il est et pouvoir s’en émerveiller. »
Je pense que les professionnels de la prévention spécialisée que nous sommes, renouent avec une fonction première de l’« accompagnant » qui est d’absorber l’agressivité propre pour la « rendre », traduite, modulée, symbolisée aux adolescent(e)s ou jeunes adultes qui viennent à nous. Il faut pour cela en comprendre le sens, comprendre quelle est notre place et /ou quelle peut-elle être (c’est ce qui est appelé le « transfert »). En effet, c’est bien LE rendez-vous à ne pas manquer car, comme mis en lumière notamment par le psychiatre et psychanalyste W. Bion, la mère (à comprendre au sens symbolique du terme la « mère » étant en fait la personne qui accompagne, soutient, nourrit, protège…) doit pouvoir accueillir l’agressivité de son enfant (« enfant » symbolique toujours qui est la personne accompagnée, soutenue, protégée…), pour qu’il cesse de répéter toujours les mêmes comportements plus ou moins problématiques pour lui et/ou son entourage. Comprendre le message premier et l’adresse ne sont pas toujours évidents ni pour l’une ni pour l’autre ; cela demande de la patience et du temps. Ce dont l’humain a besoin mais qu’il semble vouloir oublier surtout dans les grandes villes.
Il est également primordial, à mon sens, de garder à l’esprit que l’idée n’est jamais de « réintégrer dans la norme » mais bien plutôt d’en moduler une si nécessaire, d’en construire une « sur mesure » pour l’individu afin qu’il ne soit pas écrasé par celle de l’extérieur, de la société mais plutôt qu’il puisse se révéler dans quelque chose qui lui convienne. Trouver sa place, son apaisement. Exister en tant qu’individu et non, seulement comme un d’un tout.
Chaque rencontre m’enseigne, me nourrit, me met encore au travail autrement. Chaque jour est une surprise. J’aime le fait qu’il y ait toujours à inventer que rien ne soit établi. Accepter de travailler en prévention auprès de ces jeunes et moins jeunes et familles, c’est accepter l’humain dans tout ce qu’il est et pouvoir s’en émerveiller. »
Le SPS Les Réglisses
Les éducateurs du Service de Prévention Spécialisée les Réglisses interviennent dans le secteur sud du XXème arrondissement de Paris dans le cadre de la protection de l’enfance.
Ils vont à la rencontre d’adolescents et de jeunes majeurs (12-21 ans en priorité) les plus en marge des institutions et des réseaux d’insertion habituels dans leur environnement. Ceci du fait de leur histoire personnelle, leurs conditions sociales, leurs difficultés familiales et scolaires.
Par un travail de rue au quotidien, des accompagnements individuels et collectifs, des actions de quartier et grâce à l’appui d’un partenariat de proximité, les éducateurs ont pour mission d’accompagner ces jeunes dans l’élaboration de leurs projets de vie et la résolution de leurs difficultés quotidiennes. Par ces actions, les éducateurs renforcent aussi le lien de proximité avec les habitants et les partenaires locaux. En effet, leurs actions s’inscrivent dans d’étroites relations avec les acteurs concernés par la question de l’enfance et le bien-être des familles du secteur.