CAP ALÉSIA, service de visites médiatisées et de consultations familiales, est fermé au public, du fait du confinement que la situation sanitaire a rendu nécessaire, et de l’impossibilité pour les services d’accompagner les enfants.
Les visites médiatisées ne peuvent s’exercer, elles sont empêchées. Elles ne sont pas « suspendues », comme cela a pu être dit ou écrit hâtivement, dans l’urgence et avec la multiplication des sujets à traiter et des décisions à prendre, car les droits des familles restent inchangés même s’ils ne peuvent plus s’appliquer. Les mesures de protection qui s’imposent à tous – aux familles de la protection de l’enfance comme à toute autre en France, a aussi donné un coup d’arrêt au travail clinique, thérapeutique mené à CAP Alésia. Le fait que cet arrêt soit pleinement justifié dans la situation actuelle, ne doit pas nous faire passer sous silence ou minimiser les traces douloureuses qui ne manqueront pas d’apparaître, quand nous serons « le jour d’après », quand nous reprendrons le travail avec les familles. Nous reprendrons le fil interrompu de cette clinique complexe et exigeante qui nécessite, dès lors qu’un placement advient, de « prendre soin » du lien enfant/parent, de leur permettre de se voir bien sûr, et surtout de mettre au travail les motifs du placement, et ce que le placement lui-même a bouleversé dans la vie des uns et des autres. Pour l’enfant qui ne grandit pas dans sa famille, il est fondamental qu’il puisse faire un travail de symbolisation autour de cette rupture de vie. Le travail thérapeutique, qu’il se mette en œuvre dans les visites médiatisées (cadre contraint) ou dans les consultations familiales (cadre consenti), a pour visée de permettre à l’enfant de constituer son propre récit intérieur, nourri par ses expériences passées et présentes, par l’attention des personnes qui l’entourent – pour qui il compte et sur lesquelles il peut compter, nourri aussi par les représentations conscientes et inconscientes issues de son histoire de vie et de son histoire familiale, nourri enfin par ses projets, ses rêves, ses désirs.
A CAP ALÉSIA, nous menons un travail auprès de 200 familles (dont la moitié sont des familles de Paris, et l’autre moitié viennent d’Ile-de-France) et plus de 300 enfants. Le confinement national a imposé un arrêt brutal dans le travail en cours, sans préparation et sans possibilité de solution alternative dans le service, sans date à donner pour une reprise.
Au cours de la semaine passée, la mobilisation des professionnels a été immédiate et dénote l’engagement de ceux qui prennent soin des enfants au quotidien – éducateurs, auxiliaires de puériculture, assistants familiaux… Les professionnels de l’ASE ou des lieux de placement se sont souciés des effets de l’annulation des rencontres et certains ont associé les psychologues de CAP Alésia, pour que les enfants ne s’inquiètent pas, et pour que les parents soient rassurés de leur côté.
Les familles de la protection de l’enfance sont complexes, les relations entre les parents et les professionnels ne suivent pas « un long fleuve tranquille », et le climat anxiogène que nous traversons, exacerbe leurs fragilités. Certains parents tempêteront et réclameront, alors que d’autres, passifs, silencieux, pourraient être oubliés. Comment travailler pour que la discontinuité relationnelle imposée par la situation sanitaire ne mène pas les familles, parents comme enfants, vers le vide de l’absence. Ce n’est pas faire de l’ombre à l’attention soignante, éducative, clinique, des professionnels, que de rappeler ici combien il va importer, dans les jours qui viennent, de donner aussi une place à la question du lien familial, à la façon dont il est affecté par le manque de contact, enfant et parents étant éloignés les uns des autres, dans un climat d’angoisse et de menace qui impacte tout le monde.
« Le jour d’après » sera celui des retrouvailles, les visites médiatisées reprendront, les psychologues de CAP Alésia recommenceront leur travail auprès des familles. Mais pour le moment – et pour combien de temps ?- les rencontres médiatisées, les entretiens familiaux sont empêchés. Pour l’heure, la façon dont nous pouvons continuer de notre place à prendre soin du lien enfant/parents, est de rester disponible pour échanger avec les partenaires, c’est prendre des nouvelles des enfants, des parents, c’est se soucier de la façon dont chacun éprouve la situation, pour ne pas laisser s’installer l’inquiétude de l’absence.
Auteurs : Marina Stephanoff, Directrice de Cap Alésia, et son équipe.